La thébaïde ébahie

info@execho.info23 avril 2024 - ::

Le Dalaï-Lama dénonce « le projet de répression brutale » au Tibet

Le Dalaï-Lama dénonce « le projet de répression brutale » au Tibet

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Le Dalaï-Lama lors de sa visite au zenith de Nantes, le 14 août.

A la veille de sa visite au temple bouddhiste Lerab Ling près de Lodève (Hérault), où il doit rencontrer, vendredi 22 août, Carla Bruni-Sarkozy, Bernard Kouchner et Rama Yade, le Dalaï-Lama a évoqué à Nantes, pour Le Monde, l'avenir politique du Tibet après les Jeux olympiques de Pékin.

La répression a-t-elle continué au Tibet, malgré la trêve olympique ?

L'armée chinoise a encore tiré sur la foule, lundi 18 août, dans la région du Kham, dans l'est du Tibet : cent quarante Tibétains auraient été tués, mais ce chiffre demande à être confirmé. Depuis le début des émeutes, le 10 mars, des témoins fiables ont pu établir que 400 personnes ont été tuées dans la seule région de Lhassa. Tuées par balles, alors qu'elles manifestaient sans armes. Leurs corps n'ont jamais été rendus aux familles. Si l'on considère tout le Tibet, le nombre des victimes est bien sûr plus grand. Dix mille personnes ont été arrêtées. On ne sait pas où elles sont incarcérées. La nouveauté est la construction de vrais campements militaires. La présence militaire au Tibet est ancienne, mais la frénésie de constructions nouvelles, dans les régions de l'Amdo et du Kham, me fait dire que cette colonisation par l'armée est destinée à durer. Autrefois, des camions militaires venaient et restaient quelques mois. Aujourd'hui, un projet de répression brutale s'inscrit dans la durée.

Qu'attendre donc de la discussion que vous espérez toujours avec Pékin ?

Entre les émeutes de mars et les Jeux olympiques, nous avions cru à des signaux positifs. Le président Hu Jintao lui-même s'était engagé à des discussions sérieuses. Mais nous avons vite déchanté. Nos émissaires se sont heurtés à un mur. Aucune ouverture n'a été enregistrée. Le Parlement tibétain en exil se réunira donc en septembre, mais notre approche ne va pas bouger : celle de la non-violence et de la voie médiane. L'autonomie reste notre but. Une autonomie véritable, car l'autonomie à la chinoise, nous savons ce qu'elle est : un leurre.

Vous venez de déclarer au Financial Times qu'il faut respecter la Constitution de la République populaire de Chine. Et au New York Times, que vous êtes prêt à endosser le socialisme chinois. Est-ce un changement de cap ?

J'ai toujours dit qu'il fallait instaurer l'autonomie du Tibet dans le cadre de la Constitution de la République populaire de Chine. Je n'ai pas changé d'avis. De même, je dis depuis longtemps qu'il faut respecter le régime chinois, y compris sa nature socialiste. Dès 1992, j'affirmais que si une solution était trouvée au Tibet et nous paraissait acceptable, alors nous rentrerions au pays et reconnaîtrions les pouvoirs en place. J'avais même ajouté que le gouvernement tibétain en exil se trouverait automatiquement dissous. C'est toujours vrai.

Hypothèse inimaginable…

Oui, parce que les autorités continuent de penser qu'il n'y a pas de problème au Tibet, que le seul problème est celui posé par le Dalaï-Lama ! Elles ont souvent tenté de me convaincre que si je m'alignais, je retrouverai tous mes pouvoirs. Mais le sort du Dalaï-Lama me préoccupe moins que le sort de six millions de Tibétains. Bien sûr, il y a un problème au Tibet ! Le président Hu Jintao affirme qu'il travaille à une société harmonieuse. Mais tout ce qu'il fait va à l'encontre d'une telle harmonie. Den Xiao Ping avait un vrai projet de développement économique et nous l'avions approuvé, car nous connaissons les retards matériels du Tibet. Mais tout ce qui a suivi a contredit les projets d'éducation, de développement, de stabilité politique, d'unité nationale. Aucune harmonie ne sera possible en Chine avec la politique de la force, qui est tout sauf une politique réaliste. La Chine veut devenir une superpuissance ? Elle doit d'abord retrouver une autorité morale. La répression qui frappe le Tibet et d'autres régions de Chine porte une atteinte considérable à sa respectabilité. De plus en plus d'intellectuels le disent et critiquent le régime. Mais notre position n'est pas qu'il y ait des gagnants et des perdants. C'est que les deux parties soient gagnantes. En attendant, nous considérerons toujours que les Tibétains de l'intérieur sont nos maîtres. Je ne suis que le porte-parole libre du peuple tibétain qui est chez lui et réprimé au Tibet.

La voie médiane et la non-violence ne sont-elles pas en recul chez les jeunes, comme l'ont prouvé les émeutes de mars ?

Contrairement à ce qu'on a dit dans les médias, ce n'est pas la non-violence qui est en cause. Il n'y a qu'une très faible minorité - y compris chez les jeunes - qui évoque le recours à la violence. La vraie divergence est celle qui oppose ceux qui réclament l'indépendance du Tibet et ceux qui, comme nous, veulent proposer une voie médiane et une véritable autonomie. Or nous sommes dans une situation difficile parce que la voie médiane, il faut le reconnaître, n'a pas porté beaucoup de fruits. Je voudrais ajouter, à propos de la violence, que celle-ci n'est jamais une solution. L'Europe le sait, qui a subi les carnages de deux grandes guerres. La France le sait, qui va enterrer dix de ses soldats tués en Afghanistan. J'ai de la compassion pour leurs familles. Comme j'ai de la compassion pour les familles du Sichuan touchées par le tremblement de terre : cette politique chinoise de l'enfant unique est amère. En perdant un enfant dans une école détruite, beaucoup de parents perdaient leur enfant unique !

Quel bilan faites-vous, après les polémiques, de l'accueil de la France ?

Si j'étais venu avec un agenda politique précis, des rendez-vous avec des responsables politiques et gouvernementaux, alors il y aurait eu de quoi être largement déçu ! Je dois rencontrer Bernard Kouchner. Je le connais depuis longtemps et n'ignore pas sa solidarité pour le Tibet, ni celle du président Sarkozy. Alors, j'espère qu'après les Jeux olympiques, le président en exercice de l'Union européenne fera des propositions constructives au gouvernement chinois. Quoi qu'il en soit, mon agenda n'était pas politique. Je suis venu en France travailler à la promotion de valeurs humaines et au dialogue entre les religions. Si j'en juge par les publics rencontrés, j'ai de quoi être très satisfait.